Billet: Létourneau c. Regulvar inc. – dommages moraux, congédiement sans cause et refus d’une offre de réintégration

Date22 mars 2024
Auteur Julien Thibault
Sujet Billet juridique

Létourneau c. Regulvar inc., 2024 QCTAT 389 (juge administratif Daniel Blouin)

Dans cette décision rendue dernièrement, le Tribunal administratif du travail (« le TAT ») est saisi d’une requête en fixation d’indemnités en vertu de l’article 128 de la Loi sur les normes du travail (« LNT »). Cette demande fait suite à une décision rendue par le TAT ayant accueilli la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante formulée par le salarié en vertu de l’article 124 LNT à l’encontre de son employeur. Le TAT, dans cette première décision, a déterminé que les motifs économiques et organisationnels soulevés par l’employeur, qui prétendait avoir procédé à une restructuration en lien avec la pandémie de COVID-19, n’étaient en réalité que des prétextes pour tenter de justifier la fin d’emploi du salarié. En effet, au moment de l’abolition de son poste en février 2021, le salarié était en arrêt de travail en raison d’un cancer et avait informé l’employeur qu’il devait entamer un retour progressif à compter d’avril 2021. De plus, dans l’intervalle et alors que la décision sur le fond de la plainte faisait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire de la part de l’Employeur, le salarié a fait parvenir à l’employeur un billet médical recommandant un retour progressif à compter du 18 octobre 2022. L’Employeur a par la suite offert au plaignant de réintégrer son emploi, offre que ce dernier a refusée quelques jours plus tard, en novembre 2022.

Le TAT, après avoir déterminé que le salarié avait droit à une compensation pour salaire perdu d’une valeur de 92 980$, fixe à 48 384$ le montant à titre d’indemnité de perte d’emploi. La finalité de cette indemnité compensatoire étant de dédommager un.e salarié.e pour la perte de son emploi, le TAT n’accorde pas au salarié le montant de 174 720$ réclamé par ce dernier et représentant deux dans de salaire. En se basant sur l’âge du salarié, le niveau de l’emploi qu’il occupait et son expérience professionnelle, le Tribunal estime logique de penser qu’il pourra se trouver un nouvel emploi dans son domaine. Ainsi, compte tenu des seize (16) ans de service continu dont justifiait M. Létourneau, le Tribunal applique une formule de 3 semaines par année de service et fixe l’indemnité de perte d’emploi 48 384$.

Ce qui retient particulièrement l’attention dans cette affaire est le montant de 20 000$ accordé par le Tribunal à titre de dommages moraux. Rappelant d’emblée que la LNT accorde au Tribunal des pouvoirs discrétionnaires beaucoup plus larges que le droit civil en matière de congédiement, et que l’approche du Tribunal en matière d’octroi de dommages moraux diffère de celle des tribunaux civils, le Tribunal considère la somme de 20 000$ comme étant raisonnable à ce titre. Les dommages moraux ont une vocation réparatrice et ils sont accordés seulement lorsque le plaignant est en mesure de démontrer avoir subi un tel préjudicie. Ces dommages compensent notamment « l’atteinte à la réputation, à la dignité ou à l’intégrité psychologique, ainsi que l’humiliation ou la peine causée par le congédiement. Afin qu’ils puissent être valablement octroyés, le TAT souligne que « les conséquences et difficultés subies par un salarié doivent aller au-delà de ceux généralement ressentis lors d’un congédiement ». Le TAT estime que c’est le cas.

En l’espèce, le témoignage vraisemblable et non contredit du salarié qui établit le lien entre les préjudices subis et son congédiement, appuyé par une preuve médicale, mène le Tribunal à déterminer que l’octroi d’une somme de 20 000$, bien que supérieur à ce qui est généralement accordé à tire de dommages moraux, est justifié. En effet, la preuve démontre dans cette affaire que le préjudice subi est directement causé par la conduite fautive de l’employeur et que le congédiement a eu un effet dévastateur sur la condition psychologique du plaignant.

Par ailleurs, la décision du TAT est d’autant plus intéressante en ce qu’elle constitue un cas d’espèce intéressant quant à la possibilité pour un salarié de faire la preuve d’un « obstacle réel et sérieux et l’impossibilité ou l’infaisabilité d’une réintégration » au sens de l’arrêt Evans c. Teamsters Local Union no. 31, [2008] 1 R.C.S. 661. En effet, le TAT juge que le comportement de l’Employeur, qui a signifié par huissier au domicile du salarié la demande de pourvoi en contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision sur le fond de la plainte, mais également un avis de rappel au travail dans lequel l’Employeur lui ordonne de revenir au travail « sèchement […] sous réserve des conclusions du jugement qui se rendu par la Cour supérieure ». Pour le TAT, le salarié était, dans ce contexte, raisonnablement justifié de conclure qu’un retour au travail était voué à l’échec, et que, par conséquent, il n’est pas possible de lui reprocher un tel refus dans les circonstances.