Association des professeures et professeurs de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke (APPFMUS) et Guay et al., 2024 CanLII 505 (QC SAT) (arbitre Jean-Yves Brière)
Avocat MMGC responsable du dossier : Sylvain Seney
Dans cette décision interlocutoire rendue dans le cadre d’un arbitrage relative à une mésentente, l’arbitre Jean-Yves Brière conclut que le défaut par l’employeur (l’Université de Sherbrooke en l’occurrence), de dénoncer un moyen préliminaire au moment opportun conformément à l’échéancier convenu lors d’une conférence préparatoire avait pour conséquence de forclore l’Université d’invoquer ce moyen en arbitrage.
L’Association est une association non accréditée qui bénéficie d’une reconnaissance volontaire par l’Université de Sherbrooke. Au fil des ans, l’Association a convenu avec l’Université d’un Protocole semblable à une convention collective (« le Protocole ») et qui prévoit un mécanisme de règlement des mésententes entre les parties.
En l’espèce, les mésententes dont est saisi l’arbitre Brière découlent du refus d’un directeur de département de transmettre pour évaluation la candidature de la plaignante, une professeure, à une promotion au rang de professeure agrégée en raison de sa grossesse et de son handicap temporaire. La plaignante a appris la décision finale du directeur à ce sujet en janvier 2018. Elle a tout de suite dénoncé cette décision par écrit auprès du service des ressources humaines, la jugeant discriminatoire et contraire au Protocole. À l’invitation du service des ressources humaines, la plaignante a soumis une plainte en vertu de la Politique de l’Université sur la promotion des droits fondamentaux des personnes et la prévention de toute forme de harcèlement et de discrimination. S’en sont suivies une multitude de démarches entreprises par la plaignante afin de faire valoir ses droits devant diverses instances, au fur et à mesure qu’elle se voyait diriger vers d’autres forums. En 2022, la plaignante a déposé des mésententes contestant le report d’un an de sa promotion au rang de professeure agrégée (qui a eu lieu en 2019) ainsi que le report conséquent de son admissibilité au rang de professeure titulaire.
Dès la nomination d’un arbitre pour entendre les mésententes, il était convenu que la première journée d’audience en novembre 2023 serait consacrée à la présentation d’objections préliminaires de l’Université. Lors d’une conférence de gestion tenue en juin 2023, les parties ont convenu d’un échéancier qui prévoyait notamment que l’Université préciserait l’ensemble de ses objections préliminaires au plus tard le 30 juin 2023, après quoi la plaignante et l’Association auraient l’occasion de préciser leur position quant aux objections soulevées. L’Université a soulevé trois (3) moyens préliminaires au total à savoir : 1) les mésententes ont été déposées hors délai, 2) les mésententes ont été déférées à l’arbitrage hors délai et 3) la plaignante ne pouvait elle-même déférer les mésententes à l’arbitrage comme l’Association l’avait autorisée à le faire, ce droit appartenant exclusivement à l’Association.
Or, au début de l’audience de novembre 2023, l’Université annonce son intention de présenter une courte preuve afin de démontrer qu’une plainte logée en vertu de la politique de l’Université ne peut être considérée comme une mésentente déposée au service des ressources humaines au sens du Protocole. L’Association et la plaignante s’objectent fermement à l’ajout de cette objection préliminaire supplémentaire, laquelle n’a jamais été dénoncée.
L’arbitre Brière se range du côté de l’Association et de la plaignante, estimant qu’il s’agit d’une nouvelle objection préliminaire tout à fait distincte de la question du non-respect des délais. Rappelant que la conférence préparatoire sert justement à inciter les parties à faire preuve de transparence et ainsi éviter des surprises, l’arbitre affirme :
« [106] Le Tribunal considère que la conférence préparatoire est une étape importante dans le processus d’arbitrage. On y prend des décisions qui se doivent d’être respectées par les parties. Les contraventions aux engagements se doivent d’être sanctionnées car il en va du sérieux et de la crédibilité du processus. Conclure autrement équivaudrait à dire que la conférence préparatoire n’aurait aucune utilité. »
L’arbitre constate que le fait pour l’Université d’avoir annoncé tardivement sa nouvelle objection a eu pour effet de provoquer l’annulation de l’audience, le report du débat sur les objections préliminaires et ainsi l’engendrement d’un délai additionnel. Il cite avec approbation les propos d’autres tribunaux ayant jugé que les décisions prises lors d’une conférence préparatoire sont contraignantes et peuvent même constituer un contrat judiciaire entre les parties, contrat auquel on ne peut déroger que pour un motif sérieux. Afin de sanctionner le non-respect par l’Université des engagements pris lors de la conférence préparatoire, l’arbitre déclare l’Université forclose de plaider l’objection préliminaire fondée sur le fait que la mésentente de 2018 n’a pas été soumise au service des ressources humaines. L’arbitre ajoute que l’Université a renoncé, par son silence, à son droit d’être entendue relativement à cette objection.
Cette décision interlocutoire constitue une illustration intéressante du pouvoir de l’arbitre d’assurer la saine gestion du processus arbitral en s’inspirant des principes directeurs du Code de procédure civile et de ses dispositions régissant l’arbitrage conventionnel. Rappelant l’importance de la célérité du processus arbitral tant pour les parties que pour l’ensemble de la société afin de maintenir la paix industrielle, l’arbitre invoque notamment le principe de la proportionnalité ainsi que le devoir des parties de coopérer afin de favoriser un « débat loyal ». Cette décision sert de mise en garde contre tout manque de transparence lors du déroulement du processus arbitral et promeut le respect des engagements pris en cours d’instance.