Dagenais c. Exel Canada Ltd., 2024 QCTAT 1233 (juge administratif Bruno Boucher)
Dans cette décision, le juge administratif Bruno Boucher se positionne quant à différents courants jurisprudentiels pour déterminer si l’emploi retenu par la CNESST pour la travailleuse constitue un emploi convenable compte tenu des limitations fonctionnelles qu’elle conserve à la suite d’une chute survenue dans un entrepôt, laquelle a notamment entraîné des contusions au genou droit de même qu’une atteinte de plusieurs nerfs.
Bien qu’il soit d’avis que la travailleuse ne conserve pas de limitation quant au nombre d’heures de travail qu’elle peut effectuer par semaine en raison de sa lésion professionnelle, le Tribunal administratif du Travail (« TAT ») conclut que l’emploi d’assembleuse de matériel électronique ne constitue pas pour elle un emploi convenable. L’accident du travail subi par la travailleuse lui a causé une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles au genou droit. La CNESST considère que malgré ces limitations, la travailleuse est capable d’occuper un emploi dont les tâches peuvent être effectuées en position assise, plus précisément celui d’assembleuse de matériel électronique. Quant à la travailleuse, elle soutient que sa douleur l’empêche de travailler plus que douze heures par semaine et que ses limitations fonctionnelles la rendent totalement inemployable. Subsidiairement, elle avance que « sa formation scolaire limitée et son absence d’expérience dans le domaine de l’électronique [font] en sorte que l’emploi d’assembleuse de matériel électronique ne serait pas, pour elle, un emploi convenable ».
Le TAT rejette le premier argument de la travailleuse, jugeant que celle-ci n’a pu démontrer le lien entre sa douleur au genou et son incapacité alléguée d’occuper un travail à temps plein. Il rappelle la jurisprudence constante selon laquelle la douleur en soi ne peut constituer une limitation fonctionnelle et retient plutôt les limitations identifiées par le médecin du Bureau d’évaluation médicale de la CNESST (« le BEM »). L’analyse du TAT portant le caractère convenable de l’emploi proposé par la CNESST s’avère particulièrement pertinente. Bien que la jurisprudence soit assez unanime sur ce qui caractérise un emploi convenable, elle demeure plutôt mitigée lorsqu’il s’agit de déterminer qui doit assumer le fardeau de preuve de la démonstration du caractère convenable de l’emploi visé par une contestation.
En effet, alors que certains décideurs jugent qu’il revient au travailleur qui conteste un emploi de démontrer que ce dernier n’est pas convenable, d’autres estiment qu’en exerçant une compétence de novo lorsqu’il est saisi d’une contestation, le TAT dispose du pouvoir de replacer les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la décision initiale de la CNESST. Selon la logique qui sous-tend cette seconde conception, puisque la CNESST a le devoir de déterminer un emploi convenable, il appartient alors à cette dernière de faire la démonstration que sa décision est bien fondée lorsqu’elle est contestée devant le TAT.
Ainsi, le Tribunal retient ce dernier courant jurisprudentiel et cite plus précisément la décision Smith et Groupe Brazolot Migration inc., 2015 QCCLP 536 où le décideur de la CLP a conclu que le processus de novo, impliquant un réexamen du dossier par le TAT comme si aucune décision n’a été rendue, fait en sorte que le fardeau de la preuve appartient à la CNESST, et ce, peu importe le contestataire.
Ce faisant, le TAT rejette l’argument voulant que le fardeau de la preuve devrait être imposé au travailleur dans le cadre d’une contestation relative à l’emploi convenable préalablement déterminé par la CNESST. En effet, le TAT est d’avis que la décision de la CNESST en matière d’emploi ne saurait être assimilable à une réclamation.
Il note également que les deux courants jurisprudentiels ont une application assez similaire puisque dans tous les cas, la CNESST doit « minimalement démontrer qu’elle a correctement apprécié et analysé les critères de l’emploi convenable », ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.
En effet, à la lumière de la preuve, le TAT considère que la CNESST n’a pas rencontré son fardeau puisqu’elle n’a pas démontré que l’emploi d’assembleur de matériel électronique permettait à la travailleuse d’utiliser ses qualifications professionnelles. De plus, le TAT conclut que la CNESST n’a pas respecté son obligation qui consiste à procéder à une appréciation et à une analyse complète des qualifications professionnelles de la travailleuse.
Par conséquent, le TAT juge que l’emploi déterminé par la CNESST n’est pas convenable pour la travailleuse et retourne le dossier à la CNESST afin qu’elle reprenne le processus de réadaptation professionnelle et lui détermine un emploi convenable.
Cette décision s’avère intéressante en ce qu’elle participe à renforcer l’état du droit sur la question du fardeau de preuve qui incombe à la CNESST en matière d’emploi convenable. La position du TAT nous semble conforme à l’esprit de la Loi, à savoir qu’il appartient à la CNESST, et non au travailleur, de démontrer qu’elle a respecté les principes applicables afin de conclure au caractère convenable d’un emploi.