Patenaude et Centre de services scolaire des Hautes-Rivières, 2023 QCTAT 2384 (juge administratif Bruno Boucher)
Avocate MMGC responsable du dossier : Marie-Claude St-Amant
Dans cette affaire, le rejet par la CNESST d’une réclamation visant à faire reconnaître la lésion professionnelle d’une travailleuse était contesté devant le Tribunal administratif du travail (« TAT »). Une enseignante d’anglais au primaire avait vu sa charge de travail augmenter en raison des exigences supplémentaires de désinfection causées par la COVID-19 et de toute la gestion supplémentaire que cela implique avec les élèves. Elle a également dû enseigner « sur chariot », c’est-à-dire qu’elle se promenait de classe en classe pour enseigner plutôt que de garder la sienne, ce qui a eu pour effet d’entraîner des tensions avec ses collègues. Elle a reçu un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive en octobre 2020.
L’employeur prétendait que les événements en question n’étaient pas objectivement traumatisants et ne dépassaient pas le cadre normal et habituel du travail. Par conséquent, ceux-ci ne pouvaient constituer un « événement imprévu et soudain » au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles(« LATMP ») et permettre la reconnaissance d’un accident du travail.
Dans sa décision, le juge administratif écarte ces deux critères retenus par la jurisprudence classique en matière de lésions psychiques.
Le juge administratif estime d’abord que le critère en matière de lésion psychique selon lequel les événements doivent être « objectivement traumatisants » alourdit indûment le fardeau en cette matière. Cela ajouterait, en ce qui concerne la démonstration d’un événement imprévu et soudain, un critère de gravité objective qui n’est pas prévu à la LATMP. Le tribunal ajoute que cette exigence s’oppose aussi au principe selon lequel il faut interpréter la LATMP, une loi à caractère social, de façon large et libérale, de manière à favoriser la réalisation de son objet, soit l’indemnisation des travailleurs.
Le juge administratif considère par ailleurs qu’il ne devrait pas y avoir de critère impératif selon lequel l’événement doit « déborder du cadre normal et habituel du travail » pour reconnaître un événement imprévu et soudain en matière de lésions psychiques. À l’instar des commentaires qu’il fait à l’égard du critère du caractère objectivement traumatisant, le juge administratif explique qu’une telle exigence ajouterait à la notion d’événement imprévu et soudain une considération de gravité qui n’a pas été prévue par le législateur. Cela reviendrait à substituer implicitement le terme « imprévisible » au terme « imprévu » qui est celui que la LATMP emploie. Un événement peut être imprévu (inattendu) sans pour autant être imprévisible (on ne peut le prévoir), et ce, simplement parce qu’il ne sort pas du cadre normal et habituel du travail.
Par contre, le juge administratif indique que la gravité objective de l’événement demeure une question pertinente, mais doit plutôt être examinée à l’étape de l’analyse du lien de causalité entre l’événement et la lésion. Pour ce qui est du fait que l’événement sorte du cadre normal et habituel du travail, il peut contribuer à la démonstration qu’un événement était imprévu, mais ne doit toutefois pas être érigé en une condition sine qua non.
En somme, pour le juge administratif, les critères en matière de lésion psychique ne doivent pas être plus lourds que ceux qui s’appliquent en matière de lésion physique.
Le juge administratif conclut que les événements allégués, qu’on les examine ensemble ou isolément, sont imprévus et soudains. Il conclut également à l’existence d’un lien causal entre ces événements et la lésion subie. À ce chapitre, il note entre autres que même si plusieurs des événements retenus n’ont pas une gravité objective élevée lorsque considérés isolément, ils acquièrent un tel degré de gravité du fait de leur succession rapide dans le temps. De plus, une preuve médicale non contredite contribuait dans ce dossier à la démonstration du lien entre les événements et la lésion psychique.
Un courant substantiel s’est formé au sein du TAT au soutien de l’idée qu’il ne convenait pas d’appliquer un critère selon lequel les événements doivent être « objectivement traumatisants » pour être considérés comme « imprévus et soudains » en matière de lésions psychiques, à l’instar de ce que retient le juge administratif dans cette affaire. À titre d’exemple, citons notamment les affaires Preure (2022 QCTAT 253), Annab (2022 QCTAT 5562) et Charron (2022 QCTAT 4663).
En ce qui concerne la remise en question du critère du « cadre normal et habituel du travail », la situation en est encore à ses premiers balbutiements et la présente décision n’a pas fini de susciter les discussions. Certains juges administratifs ont écarté la voie suivie par le tribunal dans la présente affaire (voir par exemple Davidson et Institut de cardiologie de Montréal, 2023 QCTAT 3845). Par ailleurs, la décision fait présentement l’objet d’une demande de révision administrative devant le TAT.