Popa c. Tribunal administratif du travail, 2024 QCCS 2448 (juge Martin F. Sheehan)
Dans cette décision, le juge Martin F. Sheehan de la Cour supérieure devait déterminer si le Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT ») a rendu une décision raisonnable en rejetant la plainte pour défaut de représentation déposée en vertu de l’article 47.2 du Code du travail par un chargé de cours, Me Popa. En outre, la Cour était également saisie d’une demande de l’Université de Sherbrooke (ci-après « l’Université ») visant à faire déclarer Me Popa (ci-après « le Demandeur ») plaideur quérulent devant toutes les instances, tribunaux ou organismes assujettis au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure.
Le Demandeur est avocat et chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke. En décembre 2021, il fait part au Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Sherbrooke (ci-après « le Syndicat ») d’une situation quant à l’attribution des cours qui, selon lui, serait contraire aux dispositions de la convention collective. Après avoir analysé le dossier, le Syndicat a avisé Me Popa de sa décision de ne pas référer son grief en arbitrage compte tenu de l’absence de chances de succès, tant au niveau de la prescription que sur le fond du dossier.
En octobre 2022, le Demandeur a déposé une plainte contre le Syndicat en vertu de l’article 47.2 du Code du travail à l’encontre de cette décision. Cette plainte est rejetée par le TAT le 7 juin 2023 et un mois plus tard, le Demandeur introduit un pourvoi en contrôle judiciaire pour contester ce rejet.
La Cour supérieure, après avoir résumé le raisonnement du TAT en première instance, est d’avis que la décision contestée ne souffre d’aucune lacune, est bien motivée et découle d’une analyse rigoureuse. La Cour rejette le premier argument du Demandeur selon lequel le TAT aurait commis une erreur en concluant que le grief ne pouvait être qualifié de grief continu. Cette conclusion du Syndicat, avalisée par le TAT, ne constituait pas une conduite contraire à l’article 47.2 du Code du travail. De plus, la Cour ne retient pas les arguments du Demandeur selon lesquelles le TAT aurait commis une erreur révisable en ne retenant pas que le Syndicat a été négligent et en ayant mal interprété la convention collective. Finalement, la Cour explique que le fait que le TAT ait refusé d’entendre une preuve postérieure à la décision syndicale contestée n’a pas pour effet de rendre sa décision déraisonnable.
Le Demandeur n’ayant pu démontrer que les agissements du Syndicat étaient assimilables à un comportement arbitraire, de négligence grave, de mauvaise foi ou de discrimination, le juge Sheehan rejette le pourvoi en contrôle judiciaire. La Cour se penche ensuite sur la demande de l’Université visant à faire déclarer ce dernier quérulent. Cette demande, une fois accordée, permet d’obliger une personne à obtenir une permission avant d’entreprendre tout nouveau recours ou déposer toute nouvelle procédure. Pour ce faire, la Cour doit analyser les critères suivants qui ont été développés par la jurisprudence, notamment dans les affaires Barreau du Québec c. Srougi (2007 QCCS 685) et Pogan c. Barreau du Québec (2010 QCCS 1458) afin de déterminer l’existence d’une conduite vexatoire et quérulente de la part d’un justiciable, lesquels peuvent être résumés ainsi :
À la lumière de ces critères, et après avoir conclu que Me Popa satisfait à la quasi-totalité de ceux-ci, la Cour est d’avis que la demande en déclaration de quérulence doit être accueillie en partie. Malgré le fait qu’elle balise ladite déclaration afin de n’encadrer que les demandes en justice concernant la reconnaissance d’expérience et d’attribution de cours du Demandeur, la Cour souligne que son ordonnance de quérulence pourrait éventuellement être étendue à tout acte de procédure advenant le cas où il persistait à déposer des actes de procédures abusifs.
Dans son dispositif, la Cour précise qu’il est dorénavant interdit au Demandeur d’introduire tout acte de procédure ou grief visant directement ou indirectement ses qualifications ou ses expériences de travail, et ce autant devant la Cour du Québec, que devant le Tribunal des droits de la personne, le Tribunal administratif du travail que la Cour supérieure, de même que devant un arbitre de grief.
Cette affaire constitue une application intéressante des principes relatifs à la quérulence dans le contexte particulier de l’exercice légitime de la discrétion syndicale en matière de grief, laquelle doit être conforme à son devoir de juste représentation au sens du Code du travail. Rappelons que le TAT possède également, depuis octobre 2021, le pouvoir de prononcer une déclaration de quérulence à l’égard d’une partie en vertu de l‘article 9 (2.1°) de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail. Il convient toutefois de souligner qu’un tel pouvoir doit être exercé avec prudence par les tribunaux, tant administratifs que judiciaires.