Sifaoui c. Entretien ménager de la Capitale inc., 2023 QCTAT 4587 (juge administratif Christian Drolet)
Billet rédigé par Jean-François Demers, en collaboration avec Julien Thibault
Le Tribunal administratif du travail (« TAT ») examine ici une demande en révision d’une requête en fixation du quantum.
Il s’agit d’un dossier où le salarié a eu gain de cause devant le TAT, qui a accueilli sa plainte pour pratique interdite. En effet, sur le fond du dossier, le TAT a reconnu que le salarié avait été victime d’un congédiement illégal en raison de l’exercice de droits lui résultant de la Loi sur les normes du travail, à savoir une absence pour cause de maladie et la dénonciation d’une situation de harcèlement. Par conséquent, le TAT a annulé son congédiement et ordonné sa réintégration ainsi que le versement de l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé son congédiement illégal.
Le salarié dépose ensuite une requête en fixation du quantum par laquelle il réclame la totalité du salaire perdu entre la date du congédiement et le jour précédant celui de sa réintégration. Ici encore, le Tribunal fait droit à sa réclamation.
L’employeur demande la révision de cette dernière décision au motif que le premier juge administratif (« TAT- 1 ») n’a pas répondu à ses principaux arguments selon lesquels le salarié a manqué à son obligation de mitiger ses dommages. Devant TAT-1, l’employeur a soutenu que que plusieurs emplois étaient disponibles au moment des faits en litige et que les démarches que le demandeur a effectuées pour se trouver un nouvel emploi étaient insuffisantes.
Le juge administratif siégeant en révision (« TAT-2 ») rappelle que le pouvoir de réparation qui s’applique en cas de plainte pour pratique interdite est celui prévu à l’article 15 du Code du travail. Or, tout comme TAT-1, TAT-2 estime que l’obligation de minimiser ses dommages dans ce cas est différente de celle applicable dans les cas de recours pour congédiement sans cause juste et suffisante. Puisque TAT-1 a déjà conclu que le salarié avait été victime d’un abus de droit de la part de l’employeur, le montant qui lui est accordé est de nature indemnitaire et non rémunératrice. Par ailleurs, contrairement à l’article 128(2o) de la Loi sur les normes du travail, qui traite des pouvoirs du Tribunal en cas de congédiement sans cause juste et suffisante, l’article 15a) du Code du travail n’accorde aucune discrétion permettant au décideur de réduire l’indemnité.
Par conséquent, TAT-2 confirme la conclusion de TAT-1 voulant que ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’il est possible de réduire l’indemnité fixée en vertu de l’article 15 du Code du travail et qu’il ne peut le faire qu’en vertu du pouvoir général prévu à l’article 9(5o) de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, soit celui de rendre toute décision qu’il juge appropriée.
En l’espèce, TAT-1 soulignait dans sa décision que le demandeur était un travailleur immigrant ne détenant qu’un permis de travail fermé et dont les agissements ne révélaient aucun signe d’abus. Dans la même lignée, TAT-2 conclut qu’il n’existe pas de circonstances exceptionnelles qui auraient justifié la réduction de l’indemnité accordée au travailleur
Estimant que la décision de TAT-1 n’est entachée d’aucun vice de fond au sens de l’article 49 LITAT, TAT-2 rejette la demande de l’employeur.
Cette décision rappelle, à juste titre, que l’obligation de mitigation des dommages en est une à géométrie variable, dont l’intensité n’est pas nécessairement la même dans le cadre d’une plainte contestant une pratique interdite en vertu de l’article 122 de la LNT que dans le cadre d’autres recours (notamment un recours en vertu des articles 2091 et suivants du Code civil du Québec). Par ailleurs, le raisonnement du TAT démontre une certaine sensibilité aux réalités particulières vécues par les travailleuses et travailleurs migrants qui ne détiennent qu’un permis de travail fermé, ce qui a nécessairement un impact important sur leur capacité à se trouver un autre emploi.