Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Parc Six Flags Montréal (La Ronde), 2023 QCCA 1485 (juges Julie Dutil, Geneviève Cotnam et Benoît Moore)
Dans cette affaire, la Cour d’appel se penche sur l’application de l’article 59 du Code du travail ( « C.t. ») dans le cas d’un licenciement d’employés que l’employeur justifiait en alléguant qu’il anticipait des difficultés financières liées aux demandes salariales syndicales.
Après plusieurs mois de négociation portant majoritairement sur l’augmentation salariale des employés de premiers soins, l’employeur licencie collectivement ceux-ci et signe un contrat avec un sous-traitant pour dispenser les services de premiers soins sur son site.
L’arbitre Richard Bertrand rejette la plainte en vertu de l’article 59 C.t. du syndicat et la Cour supérieure maintient la décision de l’arbitre en contrôle judiciaire. La Cour d’appel infirme la sentence arbitrale et le jugement de la Cour supérieure pour retourner le dossier devant un nouvel arbitre.
En révisant le cadre d’analyse de l’article 59 C.t. établi par la jurisprudence, la Cour d’appel réitère que cet article ne vise pas à punir un comportement antisyndical, mais plutôt à déterminer si l’employeur a modifié unilatéralement les conditions de travail durant la période prohibée.
Le syndicat a donc le fardeau de démontrer qu’une condition de travail existait au jour du dépôt de la requête en accréditation (ou de l’expiration d’une convention collective antérieure), que cette condition a été modifiée sans son consentement et que cette modification est survenue entre le début de la période prohibée et, selon le cas, le premier jour d’exercice du droit de grève ou de lock-out, ou encore le jour où a été rendue une sentence arbitrale.
Le syndicat doit donc démontrer que le licenciement collectif (le lien d’emploi constituant une condition de travail selon la jurisprudence) n’a pas été fait en conformité avec les pratiques antérieures et habituelles de l’employeur. À défaut d’une pratique antérieure, il doit alors démontrer qu’un employeur raisonnable placé dans la même situation n’aurait pas pris la même décision.
Dans le présent dossier, l’arbitre avait analysé le comportement de l’employeur à la lumière du critère de l’employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Or, conclut la Cour d’appel, l’arbitre – et la Cour supérieure, en refusant d’intervenir – ont erré en appliquant ce critère.
En effet, précise la Cour d’appel, les deux critères susmentionnés établis par la jurisprudence sur l’article 59 C.t. – conformité aux pratiques antérieures et décision qu’un employeur raisonnable aurait pris dans les mêmes circonstances – ne sont pas des critères alternatifs. Ainsi, le deuxième critère de l’employeur raisonnable s’applique uniquement dans le cas où il n’existe pas de pratique antérieure à laquelle on peut se référer.
Or, en l’espèce, la preuve établissait que la situation financière difficile invoquée par l’employeur existait depuis 2014 et n’avait entraîné aucun licenciement.
De plus, contrairement aux jugements cités par l’arbitre pour justifier sa décision, les difficultés financières craintes par l’employeur n’étaient pas actuelles, mais anticipées. En anticipant une situation financière plus difficile dans l’éventualité où les demandes syndicales seraient accordées, l’employeur a répondu d’une manière draconienne à ces demandes en pleine période de négociation, ce qui est interdit en vertu de l’article 59 C.t.
La Cour d’appel précise également que lorsqu’il s’agit d’analyser dans le cadre d’une plainte fondée sur l’article 59 C.t. le comportement de l’employeur pour déterminer s’il est conforme à ses pratiques de gestion habituelles, on ne doit pas considérer les demandes salariales syndicales et leur impact monétaire. Le test élaboré par la jurisprudence étant celui du gestionnaire raisonnable et non celui du négociateur raisonnable, les comportements des parties pendant les négociations ne sont pas pertinents. L’arbitre doit simplement « être convaincu que la décision de l’employeur demeurait conforme à ses pratiques habituelles de gestion ou, exprimé autrement, qu’il aurait procédé de la même manière en l’absence d’une requête en accréditation » (Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal‑Mart du Canada, 2014 CSC 45).
Cette décision précise de façon utile que les deux critères d’analyse pour l’application de l’article 59 C.t. ne sont pas alternatifs et que le deuxième critère de l’employeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances s’applique uniquement en l’absence de pratiques antérieures. D’autres tribunaux ont tiré la même conclusion à l’égard de dispositions semblables à l’article 59 C.t. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, en particulier, est parvenue à cette conclusion dans plusieurs affaires, incluant une dans laquelle sa décision a été maintenue par la Cour d’appel fédérale. Cette approche permet de protéger l’essence de l’article 59 C.t., qui fournit une protection supplémentaire en période de gel afin de « faciliter l’accréditation et […] favoriser entre les parties la négociation de bonne foi de la convention collective » (Wal-Mart).