Unifor, section locale 175 et Produits Suncor Énergie – Raffinerie de Montréal, 2023 QCTA 554 (arbitre Richard Mercier)
Avocate MMGC responsable du dossier : Marie-Claude St-Amant
Dans cette décision, l’arbitre Richard Mercier est appelé à se prononcer sur la légalité de l’utilisation de 7 caméras de surveillance (sur 8) installées dans le nouvel entrepôt de l’employeur. Le syndicat estime que leur utilisation porte atteinte au droit à la vie privée et au droit à des conditions de travail justes et raisonnables garantis par la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec.
L’employeur prétend avoir des motifs sérieux pour justifier l’installation de ces caméras, soit protéger ses installations contre toute intrusion, faire une enquête en cas de vol et permettre aux agents de sécurité de constater les intrusions et d’alerter rapidement les autorités policières. Il ajoute que l’atteinte est minimale puisque les angles des caméras sont fixes, que les images sont conservées seulement pendant 30 jours et que de toute façon, ces caméras ne permettent pas de filmer les employés sur une période continue parce qu’ils se déplacent fréquemment à l’intérieur et à l’extérieur de l’entrepôt.
L’arbitre s’applique d’abord à déterminer si la présence des caméras porte atteinte au droit à la vie privée des salariés. Il est d’avis que peu importe le pourcentage du travail exécuté dans la ligne de mire des caméras, celles-ci fonctionnent en continu (24 h/24 et 7 jours/7), ce qui constitue « un critère important retenu par la jurisprudence pour conclure à une violation au droit à la vie privée en milieu de travail ». De plus, note l’arbitre, le simple fait de capter l’image de quelqu’un sans son consentement constitue en soi une atteinte à sa vie privée.
L’arbitre examine par la suite si l’atteinte à la vie privée peut se justifier en vertu de l’article 9.1 de la Charte. Bien que l’employeur soutienne que l’objectif recherché par l’installation des caméras soit de se protéger contre d’éventuels intrus et voleurs, l’arbitre constate que « la preuve n’a révélé aucune problématique urgente et réelle à être réglée en ce qui concerne l’intrusion et le vol dans l’entrepôt ».
L’arbitre rejette également les prétentions de l’employeur selon lesquelles la présence des caméras peut être justifiée par le fait que l’entrepôt représente un lieu de travail dangereux et pour éviter que des accidents se reproduisent. Il retient plutôt de la preuve que la pose des caméras est arbitraire , que celles-ci ont été installées à l’insu du syndicat et que les questionnements de ce dernier quant à leur utilité ont été ignorés par l’employeur.
L’arbitre enchaîne en notant qu’en l’absence d’une problématique urgente et réelle, il ne peut exister de lien rationnel entre l’usage des caméras comme moyen de surveillance et l’objectif poursuivi. L’arbitre ajoute de plus qu’il existe des mesures sécuritaires alternatives moins invasives pour protéger l’intérieur de l’entrepôt.
Puisque les critères des motifs sérieux, de la nécessité et de la rationalité ne sont pas remplis, l’arbitre conclut qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur le critère de l’atteinte minimale.
Ayant déterminé que la présence des caméras dans le nouvel entrepôt viole sans justification le droit fondamental au respect de la vie privée des salariés et donc que ceux-ci ne bénéficient pas de conditions justes et raisonnables, l’arbitre accueille le grief et ordonne à l’employeur de retirer les caméras problématiques dans les dix jours suivant la décision.
À l’instar de plusieurs autres décideurs ayant rendu des décisions portant sur la légalité de l’usage de caméras de surveillance, l’arbitre fait ici une analyse rigoureuse des motifs invoqués par l’employeur pour justifier celles-ci, exigeant une démonstration concrète de l’existence d’un problème sérieux.