Université de Sherbrooke c. Roy, 2024 QCCS 401 (juge Martin Bureau)
Dans cette affaire, la Cour supérieure annule une sentence arbitrale qui ordonnait la réintégration d’une salariée congédiée pour absentéisme excessif découlant de causes multiples, dont la plupart était en lien avec des problèmes de santé.
L’arbitre Pierre-Georges Roy avait d’abord accepté la démarche suivie par certains arbitres selon laquelle dans des cas d’absentéisme jugé excessif où les causes d’absence sont multiples, l’employeur n’est plus celui qui a le fardeau de démontrer la possibilité pour la salariée de reprendre le travail dans un avenir raisonnablement prévisible; il peut simplement se contenter de faire état de l’absentéisme excessif, lequel serait « garant de l’avenir ». Le syndicat pourrait par la suite remettre en cause cette présomption d’inaptitude pour l’avenir. S’il y parvient, poursuivait l’arbitre, l’employeur devrait faire la démonstration de la raisonnabilité de sa décision dans les circonstances.
L’arbitre concluait dans un premier temps que l’employeur avait fait la démonstration de l’absentéisme excessif de la salariée. Par la suite, l’arbitre jugeait que les remarques du syndicat quant au fait que les dernières absences de la salariée n’étaient pas de même nature que les précédentes et n’étaient pas de nature à se reproduire à l’avenir commandaient un examen plus approfondi de la décision de l’employeur. L’arbitre notait également une période de neuf mois durant laquelle le dossier d’assiduité de la salariée était parfait avant la survenance d’incidents qui n’étaient pas de nature à se reproduire.
L’arbitre jugeait ainsi que dans un tel contexte, une simple compilation du taux moyen d’absences ne suffisait plus et que « l’employeur devait faire état d’une analyse du dossier qui soupèse la nature exacte de chacune des absences de Diane St-Pierre afin de juger de leur impact réel sur la possibilité qu’elle puisse fournir une prestation de travail normale à l’avenir. »
L’arbitre concluait au final que la preuve n’établissait pas que la salariée serait incapable de fournir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible; au contraire, elle démontrait une évolution positive quant à l’absentéisme et que les absences récentes découlaient d’incidents « clairement marqués par leur caractère aléatoire. ».
Par conséquent, jugeait l’arbitre, la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi de la salariée sur la seule base du taux moyen d’absence n’était pas raisonnable. L’arbitre ordonnait par conséquent la réintégration de la salariée.
La Cour supérieure affirme que le congédiement administratif pour absentéisme excessif en raison de causes multiples ne se justifie pas par le caractère volontaire ou involontaire des absences, mais plutôt par leur accumulation.
Elle pose comme principe universellement reconnu l’idée selon laquelle, dans des cas impliquant des absences pour causes multiples, il reviendrait à la partie syndicale d’assumer le fardeau de la preuve et de convaincre l’arbitre que la personne salariée peut fournir une prestation de travail comparable à celle des autres salariés.
La Cour indique ne pas comprendre en quoi les absences plus récentes de la salariée se distingueraient de ses autres absences. Elle estime également que l’arbitre aurait fait une analyse compartimentée des absences plutôt que de les considérer dans une perspective globale.
La Cour estime que l’arbitre aurait rendu une décision incohérente en acceptant d’abord que le syndicat assume le fardeau de preuve dans les cas d’absentéisme avec causes multiples, mais en faisant par ailleurs basculer le fardeau vers l’employeur après avoir différencié les absences plus récentes des autres absences, le tout sans justifier sa décision de façon intelligible.
Quant au remède, la Cour juge approprié de déroger à la règle générale reconnue dans l’arrêt Vavilov selon laquelle il est préférable renvoyer un dossier dont le pourvoi en contrôle judiciaire est accueilli au décideur administratif. La Cour estime « qu’une seule interprétation ou solution est envisageable et que toute autre interprétation ou solution serait déraisonnable » dans les circonstances et annule par conséquent purement et simplement la sentence arbitrale, sans renvoyer le dossier à l’arbitre (ou à un autre arbitre).
De façon surprenante, le jugement de la Cour ne fait aucune mention des notions d’obligation d’accommodement et de contrainte excessive, alors que l’absentéisme en raison de la maladie se trouve au cœur de ce dossier.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser à la lecture du jugement – ou même de la sentence arbitrale y donnant lieu –, l’idée selon laquelle il faudrait en quelque sorte présumer de l’incapacité future de travailler d’un salarié avec un historique d’absentéisme important, le passé étant supposément garant de l’avenir, n’est pas universellement acceptée, même en présence d’absences aux causes multiples. La même chose est vraie de l’idée d’un renversement du fardeau de la preuve vers le syndicat dans des cas de causes multiples d’absences.
Il nous apparaît pour notre part que ces idées sont difficilement compatibles avec les principes posés par la Cour suprême dans les arrêts CUSM, Hydro-Québec et Caron.
En référence à l’application de l’adage du « passé garant de l’avenir », un arbitre écrivait que la Cour suprême, dans ces arrêts, n’avait pas « entériné des proverbes ou énoncés qui, trop souvent, sont porteurs de préjugés et stéréotypes que les chartes de droits visent justement à éradiquer. »
Dans la même veine, un autre arbitre écrivait ce qui suit :
Enfin, une autre arbitre, s’appuyant sur les arrêts CUSM, Hydro-Québec et Caron de la Cour suprême, écrivait qu’un employeur ne pouvait se contenter d’invoquer uniquement un pronostic sombre pour démontrer la contrainte excessive qu’il assumerait s’il n’a pas fait d’effort d’accommodement ou encore s’il peut en faire davantage à ce titre. À ce sujet, la Cour suprême indiquait dans l’arrêt Caron que « l’obligation d’accommodement exige un accommodement important à un point tel que l’employeur peut démontrer « qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu » ».
Au-delà de ces questions de principe, on peut également se questionner quant à l’étendue de l’intervention du tribunal en contrôle judiciaire à l’égard de questions paraissant relever de l’appréciation de la preuve par l’arbitre.